Pourquoi ce blog ?

Bienvenue à tous les visiteurs de ce blog !

Par le biais de ce blog, je souhaite vous faire part de mes positions politiques (les poser à l’écrit) sur certains sujets qui me semblent cruciaux et/ou peu abordés (crise des banlieues, rapports Nord/Sud, Ecologie, Fiscalité…).
De plus étant bien triste de constater à quel point les individus ont tendance à démissionner chaque jour un peu plus de leur rôle de citoyen, pour préférer un simple rôle de travailleur/sur-consommateur, ce blog sera ma très petite contribution pour essayer d’informer, faire connaître mes positions et ouvrir un débat entre citoyens.
Par ailleurs, à travers les articles de ce blog vous verrez que : faire des propositions est essentiel pour moi, car critiquer c’est bien, mais proposer une alternative c’est mieux !
D’où le titre de ce blog : alternatives citoyennes. Au reste, le but de ce blog n’est pas tellement pédagogique, pour cela je vous renvoie notamment vers des liens très intéressants.
Enfin, vos contributions, remarques, points de vue et critiques (constructives) sont évidemment les bienvenues.
Petite remarque : j’aurais parfois tendance à forcer le trait et à tenir des propos corrosifs, ceci dans l’unique but de rendre la lecture de ce blog plus captivante.

Martin Besnier

jeudi 30 décembre 2010

Pour une réforme juste et ambitieuse de la fiscalité nationale :

Derrière une complexité repoussante, l’enjeu de la fiscalité est crucial. C’est là que se joue ni plus ni moins la justice sociale !

Je vous renvoie directement à l’article précédent sur la fiscalité internationale et européenne (lutte contre les paradis fiscaux, Serpent Fiscal Européen et harmonisation fiscale européenne par le haut, nouvelles taxes internationales (TTF, kérosène…)) pour contrer tout de suite tous les arguments portant sur le « dumping fiscal » ou la perte de « compétitivité », « d’attractivité »…

Alors que le gouvernement va semble-t-il lancer prochainement une réforme fiscale (qui devrait se limiter à la double suppression du bouclier fiscal et de l’impôt sur la fortune), il faut assurer qu’une bonne et ambitieuse réforme de la fiscalité nationale devrait favoriser les impôts directs et progressifs plus justes que les impôts indirects et proportionnels. On entend par impôt progressif (tel que l’impôt sur le revenu), un impôt dont le taux augmente en fonction du niveau de richesse, contrairement à un impôt proportionnel (tel que la TVA) où là que vous soyez SDF ou milliardaire le taux d’imposition sera le même.
Dans le cadre d’un système fiscal relevant majoritairement d’impôts proportionnels, comme c’est le cas en France (60% de nos recettes fiscales proviennent de tels impôts, à commencer par la TVA), ce sont donc les classes moyennes et populaires ainsi que les PME et TPE qui, proportionnellement à leur revenus, payent injustement beaucoup plus d’impôts que les plus riches et les FMN…Promouvoir les impôts proportionnels, c’est promouvoir les inégalités de revenus.

Proposons à présent quelques idées pour une réforme fiscale juste et ambitieuse :
- Mettre un terme au bouclier fiscal, cette mesure certes symbolique mais symbolique de l’injustice sociale dans ce pays.
- Mettre fin à l’Impôt sur la Fortune ? Pourquoi pas si c’est pour simplifier notre système fiscal, mais à une condition non-négociable :
- Créer de nouvelles tranches d’imposition concernant l’impôt sur le revenu (qui rappelons le ne correspond actuellement qu’à 16% de nos recettes fiscales). Pourquoi pas faire payer de manière symbolique les actuels 50% non imposables de l’ISR (qui payent cependant bien d’autres impôts et certainement plus que les plus riches, proportionnellement à leur revenus), mais surtout donc créer de nouvelles tranches en haut. Il faut voir jusqu’à quel taux on décide d’aller, mais cette idée peut quelque part rejoindre celle du « Revenu Maximal » non pas en fixant un niveau maximum de revenus mais par le biais d’une très forte taxation. Pour exemple, aux USA, un certain Franklin Delanoe Roosevelt a porté progressivement (de 1932 à 1941) le taux de l’impôt fédéral sur le revenu applicable aux plus riches jusqu’à 91% !!
- S’assurer que nos FMN cotées au CAC 40 et aux bénéfices mirobolants payent bien leur impôt sur les sociétés (IS) à hauteur de 33% de leurs revenus comme prévu par la loi. Christine Lagarde elle-même reconnaît que le taux réel pour les FMN françaises tourne seulement autour de 20%, à cause notamment de la technique des prix de transfert (voir l’article sur les paradis fiscaux), ce qui représente un manque à gagner de plus de 8 milliards d’euros pour l’Etat.
- Par ailleurs, tandis que nos PME et TPE, en grande difficulté et qui pourtant sont les véritables créatrices d’emplois en France, payent environ 2,3 fois plus d’impôts que nos FMN selon le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) ; il s’agirait donc de réorienter nos exonérations fiscales et aides publiques vers ces petites entreprises et non auprès de nos FMN…
- Mettre en place une CSG (Contribution Sociale Généralisée) progressive et non plus proportionnelle.
- Taxer davantage les stock-options, et les parachutes dorés, et plus largement tous les bénéfices qui ne sont pas réinvestis sous forme d’augmentation des salaires ou d’investissement dans nos entreprises.
- Baisser la TVA (qui rappelons le est un impôt indirect et proportionnel injuste qui représente près de 50% de nos recettes fiscales) sur les produits de première nécessité et les produits écologiques.
- Créer la Contribution Climat Energie telle qu’elle est entendue par les Verts et Hulot, (qui s’appliquerait donc aussi aux grandes industries polluantes), pour faire évoluer nos esprits et pour financer en partie la conversion écologique de notre économie. De manière plus générale, il faut repenser notre système fiscal afin de taxer davantage la dépense d’énergie que le travail ! (la fiscalité écologique fera l’objet d’un prochain article).
- Même si ce n’est pas le sujet de notre article, il faudra aussi réformer nos impôts locaux particulièrement injustes et complexes.

Pour finir, toutes ces réformes en plus d’être justes devront bien évidemment amener plus de recettes fiscales à notre Etat actuellement déficitaire (voir l’article précédent pour de nouvelles recettes fiscales mais aussi celui concernant la dette publique).

mercredi 29 décembre 2010

L’enjeu culturel dans l’intégration des immigrés et dans la résolution de la crise des banlieues :

Cet article reprendra des idées que j’ai déjà évoquées, et fait notamment suite à l’article « Politique d’immigration », mais en mettant l’accent sur l’aspect culturel que j’avais minoré jusqu’à présent. Il faut aussi noter que cet article fait suite à la lecture de l’ouvrage d’Hugues Lagrange : Le déni des cultures ; il est principalement à destination de certaines personnes de droite qui n’ont pas lu ou mal lu le livre de H. Lagrange et s’en sont honteusement servi à des fins politiques.

A ceux qui se demandent pourquoi s’engager pour des causes internationales alors qu’il existe déjà tant de problèmes en France, je répondrais que, (au-delà de simples convictions morales), nous ne vivons plus aujourd’hui dans des sociétés nationales mais bien « post- nationales» dans le cadre de la mondialisation, ce qui implique que « nos » problèmes économiques, sociaux, écologiques…sont de plus en plus liés au reste du monde…

Ainsi, notre actuel monde « globalisé » et interdépendant étant de plus en plus inégalitaire (écarts de plus en plus monstrueux entre pays du Nord et du Sud et entre individus à l’intérieur des pays), la pression migratoire (légale et clandestine) vers les pays du Nord est inéluctablement vouée à s’accroître. On peut prendre ici l’exemple des populations des zones du Sahel (sur lequel nous reviendrons), qui par la combinaison de l’extrême pauvreté et de la sécheresse (accentuée par le changement climatique) sont obligées d’émigrer.

En outre, pour paraphraser Michel Rocard, si « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, elle doit cependant savoir en prendre fièrement sa part » (la deuxième partie de la phrase étant systématiquement oubliée par la droite…). Ce qui implique que la question à se poser en terme d’immigration n’est pas tellement de savoir « par quels moyens limiter les flux migratoires ? » mais plutôt « comment mieux intégrer les personnes immigrées pour éviter les tensions ? ». De plus, pour reprendre les propos d’Hugues Lagrange d’une banale vérité : « un pays qui se ferme est un pays sans avenir ».

Avant de tenter de répondre à la question que nous venons de poser, nous allons tout d’abord étudier très succinctement le cas des « Soninkés » (une ethnie de la vallée du fleuve Sénégal) pour mieux mettre en exergue l’enjeu culturel dans la réponse à la crise des banlieues.

Dans le cas présent, suite à la suspension de l’immigration de travail en France en 1974 et à l’échec des politiques d’aide au retour, les dispositifs de regroupement familial (qui n’ont malheureusement pas été accompagnés d’une véritable aide à l’intégration) se sont traduits par l’arrivée des femmes des travailleurs de cette ethnie. Ceux-ci, qui furent en France d’abord dockers puis éboueurs notamment, avaient par ailleurs gardés un rapport de domination sur les femmes par le biais de pratiques polygames ou du « prix de la fiancée », qui sont bien logiquement interdites et difficilement acceptables en France. Cela va se traduire en quelque sorte par un « déboussolement culturel » face à la culture du pays d’accueil :

Ainsi alors que les Français ont une conception nucléaire de la famille, pour les Soninkés, la famille est perçue comme une cellule plus large, les parents ayant un rôle normatif fort alors que les oncles maternels et grands parents ont quant à eux un rôle affectif et de confidents. Or, dans le cadre de l’émigration vers notre pays, ces derniers ne sont pas forcément présents et les enfants n’ont alors à faire qu’à l’autoritarisme abusif (voire violent des pères ; et non pas un manque d’autorité…) qui n’est pas efficace car il ne donne pas d’explications.

Par ailleurs, tandis que les Français peuvent voir comme une preuve de laxisme le fait de laisser « traîner » dehors ses enfants à des heures tardives, les mères Soninké, qui ont gardés à l’esprit dans le cadre de leur culture de l’éducation collective que tous les adultes exercent un contrôle normatif collectif sur les enfants, ne voient pas cela comme un danger pour leurs enfants. C’est par ailleurs souvent un moyen pour elles de souffler un peu étant donné l’étroitesse et la vétusté des appartements (qui sont la propriété de marchands de sommeils) dans lesquels habitent ces familles (les offices HLM ayant pour la plupart refusés de les accueillir).

Ces exemples concrets qui pourraient être développés et qui montrent en partie pourquoi les jeunes Noirs issus de l’Afrique sahélienne sont davantage en proie aux inconduites scolaires et à la délinquance (comme le montre davantage Lagrange dans son ouvrage), doivent avant tout nous amener à repenser nos politiques publiques et notamment nos politiques d’intégration en fonction des différences culturelles et des communautés, ce qui suppose de dépasser (enfin) notre tabou républicain à ce sujet, de ne plus avoir une vision globale stupide des « Français d’origine étrangère ».

Venons-en à présent à quelques idées développées par Hugues Lagrange, certes de manière un peu confuse dans son ouvrage, pour régler la crise des banlieues :

- Ainsi pour reprendre l’auteur, il faudrait tout d’abord arrêter la schizophrénie de nos politiques publiques, qui envoient des signaux contradictoires aux migrants et qui rend celles-ci illisibles.

En effet, on met en place d’un côté la politique de la ville et des mesures de lutte contre discriminations (HALDE etc) ; mais de l’autre côté on fait bien comprendre aux immigrés qu’ils ne sont pas les bienvenus en France et qu’on les soupçonne de fraude, d’illégalité…et puis on crée un sordide «Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale… », en charge d’une politique du chiffre d’expulsions arbitraires…

En outre, le couple fourniture d’aides + défiance à l’égard des migrants ne peut, comme le rappelle Lagrange « qu’induire des comportements opportunistes à l’égard de l’Etat social ».

Par ailleurs, le sociologue rappelle au sujet de la Politique de la Ville que cette politique publique si souvent évaluée est constamment attaquée pour son inefficacité…Disons que dans sa configuration actuelle, elle a plus un rôle palliatif que curatif (voir article II. sur la réforme que j’appelle de mes vœux pour cette politique). Mais, sans la politique de la ville, par ailleurs à la pointe de l’innovation en matière de politiques publiques, la situation serait très certainement encore bien pire dans les cités sensibles de notre pays.

- Après cela, pour régler la « crise des banlieues », il faudrait s’atteler à créer les conditions de l’émergence d’élites locales dans les quartiers (une idée que j’ai déjà développée dans les précédents articles).

1. Il faudrait premièrement mettre le paquet sur la mixité sociale (plus que culturelle d’ailleurs, car on aura malheureusement du mal à faire revenir du jour au lendemain des « blancs » dans les cités les plus sensibles) :

- en assurant une fois encore véritablement l’application de la loi SRU et en construisant plus de logements sociaux, notamment PLAI (on construit en France, mais peu de logements sociaux…). Mais alors attention, s’il faut effectivement favoriser la mixité sociale au niveau communal ou intercommunal pour éviter la ghettoïsation, la mixité socioculturelle au niveau micro-local semble cependant souvent impossible, ne faisant que créer des tensions, distances et repli sur soi…En tout cas, il ne faut pas l’imposer à ce niveau là.

- et surtout, (nouveauté évoquée par Lagrange) : en tentant de créer des « quartiers intermédiaires » limitrophes aux « cités » les plus sensibles où il n’y a plus aucune mixité sociale. Il s’agit ainsi entre autre d’attirer l’élite immigrée (qui fait aujourd’hui partie de la classe moyenne), issue de ces cités et qui est partie pour se construire légitimement pour eux mêmes et leurs enfants un avenir meilleur ; mais qui ont gardés des liens familiaux et amicaux très fort ainsi qu’un grand attachement au quartier. (Cependant, il est vrai que cette politique me semble bien difficile d’un point de vue purement pratique à mettre en place).

2. Puis, dans le domaine scolaire (toujours dans l’optique de favoriser les conditions de l’émergence d’une élite locale et d’un nouveau modèle de réussite) :

- dans le cadre d’un déficit de préscolarisation de certains enfants, réaliser un suivi le plus tôt possible des difficultés scolaires dès l’école maternelle et ne pas attendre que les retards se forment et se creusent…Car sinon, cela ne fait notamment que se développer les risques d’échec scolaire et d’humiliation scolaire particulièrement chez les garçons, ce qui se traduit parfois part une dévalorisation de l’élite scolaire (intello=PD), un machisme renouvelé (les filles réussissant mieux à l’école), voire l’affirmation d’une virilité et d’une nouvelle fierté par les activités illicites et délinquantes.

- ne pas être forcément contre la mobilité scolaire ; mais alors à côté de cela « dé saupoudré » le dispositif ZEP, afin de mieux concentrer les moyens dans les collèges et lycées les plus défavorisés (voir l’article sur l’éducation).

- et enfin, créer des filières d’excellence dans ces établissements ZEP, soit par des partenariats avec les grandes écoles (modèle IEP de Paris), soit par l’instauration de « quotas méritocratiques », 5% des places dans les classes préparatoires étant alors réservées aux meilleurs élèves des lycées ZEP. Il s’agit bien là de faire de la discrimination positive, mais sur une base territoriale et non ethnique, ce qui est me semble-t-il compatible avec l’idéal républicain. On pourrait aussi réformer les concours d’entrée aux grandes écoles et dans la fonction publique pour qu’ils soient moins « socialement discriminants » (les épreuves de culture générale notamment…) et mettre un terme à la pratique des stages non rémunérés (qui pénalisent ceux qui ont besoin d’argent…).

3. Ensuite, il faudrait revoir notre politique d’intégration (j’en ai déjà parlé dans l’article « politique d’immigration ») vers une plus grande reconnaissance de la différence culturelle :

- Cela rejoins l’idée du contrat d’accueil et d’intégration (déjà évoquée, le CAI devant être amélioré) et du fait d’éviter la concentration dans des logements insalubres des primo-arrivants (voir l’article précédent). Concernant le CAI, il faudrait notamment mettre l’accent sur les droits des femmes primo-arrivantes (séances d’information sur leurs droits en France, prévention des situations de sexisme, de violences conjugales…).

- il s’agirait aussi de réaliser une meilleure « inclusion institutionnelle de la diversité » (droit de vote aux élections locales des étrangers ; institutions médiatrices avec les pouvoirs publics type CFCM ; favoriser la médiation culturelle et les associations culturelles ; construction de lieux de cultes dignes, de plus de carrés dans les cimetières ; apprentissage du français conjointement à la langue d’origine ; instauration de jours fériés optionnels dans le calendrier (l’Aïd pour les musulmans, le Kippour pour les juifs, par exemple) comme l’avait proposé en 2004 la commission Stasi…).

- enfin, il faudrait améliorer la lutte contre les discriminations (renforcer les pouvoirs, les moyens et la notoriété de la HALDE).

4. D’autre part, toujours dans l’optique de favoriser une élite locale, et j’en reviens à mon dada, il faut mettre en place une « politique d’empowerment », d’encapacitation des habitants à faible capacité de pouvoir des quartiers difficiles, et notamment des femmes (qui sont des actrices majeures dans le développement) !

Il s’agirait notamment de favoriser les associations d’accueil pour les primo-arrivantes ; d’encourager l’activité professionnelle des femmes (par un plus grand nombre de places en crèches et un meilleur accès aux formations professionnelles) ; ou encore d’aider à la création d’associations de femmes, de « self help groups » qui pratiqueraient entre autres le microcrédit ou les tontines populaires…On rejoint ici le courant de l’économie sociale et solidaire.

En résumé: toutes ces propositions visent à recréer une élite locale des « cités » et/ou des quartiers limitrophes, avec une large place faite aux femmes, dans une optique de développement local.

Ainsi, de nouvelles classes moyennes (celles-ci étant traditionnellement très présentes dans le monde associatif) porteraient ce développement, cet empowerment local. Ces classes moyennes seraient les leaders de combats politiques (meilleure représentation), économiques (création d’activité économique, investissements endogènes…) et sociaux visant à l’amélioration des conditions de vies dans les quartiers difficiles. En outre, leur présence permettrait un meilleur contrôle collectif sur la délinquance (ce qui rejoint l’idée que j’avais déjà énoncée de « community policing » dans le cadre d’une nouvelle police de proximité), ainsi qu’une diminution des traditions patriarcales (qui infériorisent les femmes et qui favorisent la délinquance des jeunes).

Pour aller plus loin :

LAGRANGE Hugues, Le déni des cultures, 2010.

mardi 28 décembre 2010

Roms et « gens du voyage » : quelles solutions ?

Pour commencer, quelques chiffres :

- 10 millions : c’est le nombre de Roms présents en Europe (la grande majorité en Roumanie, Bulgarie et les pays de l’Ex-Yougoslavie).

- 15.000 (eh oui, seulement !) : c’est le nombre de Roms présents actuellement en France.

- Entre 24.000 et 28.000, c’est le nombre de reconduites à la frontière d’immigrants en situation irrégulière effectuées chaque année depuis 2007 par messieurs Besson puis Hortefeux sur demande expresse de l’Elysée. Pour déconstruire cette politique du chiffre : on peut rappeler que la moitié de ces reconduites à la frontière (12.000 à 13.000 par an) concernent justement les Roms, dont les 2/3 reviendront en France, notamment grâce à l’aide au retour (dans leur pays d’origine, comprenons nous bien lol) de 300 euros par adulte.

Pour continuer, quelques rappels :

Les Roms, une population originaire d’Inde au Moyen-Age, qui a ensuite migré vers l’Europe, sont victimes dans leur pays d’origine de conditions de vie misérables, de discriminations incroyables et de toute sorte (éducation, emploi, santé, droit d’entreprendre…) voire de violences (notamment depuis la fin des régimes dictatoriaux communistes en 1989/91 qui protégeaient un peu mieux les minorités, avec des pogroms organisés par des groupuscules d’extrême droite).

Ce qui les pousse donc à migrer vers l’Europe de l’Ouest. En outre, les Roms originaires de Roumanie et Bulgarie sont citoyens européens depuis 2007, mais sous le coup d’un statut dérogatoire jusqu’en 2014 qui ne leur permet de rester que 3 mois en France.

Au reste, tandis que certains Roms n’ont tout simplement pas le droit d’avoir accès à un emploi, la plupart doivent pour rester en France après ces 3 mois, soit trouver un emploi dans le cadre d’une liste étroite de secteurs économiques en manque de main d’œuvre, soit s’inscrire à l’université

La grande majorité des Roms ne pouvant remplir l’une de ces deux conditions, ils se retrouvent donc vite dans l’illégalité. Celle-ci se trouvant souvent renforcée par l’exercice d’une mendicité, parfois agressive ; des activités délinquantes ; ou encore l’occupation illégale de terrains publics ou privés (aidés en cela par la non application de la Loi Besson par une majorité de communes françaises, nous reviendrons sur ce point).

S’il est évident qu’il ne faut pas faire de généralités, un certain nombre de Roms ont cependant intériorisés une « identité négative » héritée du fait d’avoir été réduit en esclavage pendant très longtemps et ce jusqu’à la fin du XIXème siècle, mais aussi à force de discriminations, de pratiques passées de délinquances et de dépendance à l’égard de l’assistance sociale.

Rappelons tout de même à ceux qui le pensent que les « étrangers » ne sont pas forcément des fraudeurs à l’aide sociale qui viendraient profiter de notre généreux système français, et que dans le cas présent les Roms n’ont le droit qu’à l’Aide Médicale d’Etat, et encore l’accès reste limité et ils doivent désormais s’acquitter d’un droit de 30 euros par an pour toucher l’AME.

Par ailleurs, on peut noter que les Roms n’ont pas d’identité culturelle très forte, la langue Romani étant très peu parlée par les communautés émigrantes, tandis que celles-ci se convertissent généralement à la religion de leur société d’accueil. Ainsi, en France, bon nombre de Roms sont catholiques même si on dénombre de plus en plus de pentecôtistes (ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’une Eglise aux rites spectaculaires, démonstratifs et dont les leaders sont avant tout charismatiques). En outre, il faut davantage appréhender le fait d’être Rom comme un statut social qu’une appartenance culturelle, puisque les Roms qui « s’élèvent socialement » ne se considèrent généralement plus à posteriori comme des Roms.

Politique actuelle :

Il ne vous aura pas échappé que la politique actuelle du gouvernement français se résume, et ce encore plus depuis cet été, à la volonté de détruire les camps illégaux de Roms et de multiplier les expulsions du territoire français.

Il est malheureusement évident que cette politique ne résous absolument pas le problème, pire, elle l’aggrave puisque les Roms expulsés, reconduits, puis revenants, expulsés, reconduits…vivent ainsi dans des conditions très précaires : au niveau de l’habitat, mais aussi concernant le cursus scolaire des enfants…, les aires d’accueil ou camps illégaux étant en outre souvent bien éloignées des services urbains (écoles/transports/zones d’emplois…).

Notons d’ailleurs que parmi les Roms renvoyés dans leur pays d’origine au mois d’aout dernier, aucun n’était « connu des services de police », mise à part pour l’occupation illégale de terrains communaux ou privés, un fait monté en « trouble à l’ordre public » qui justifiait peut-être une amende mais surement pas une reconduite à la frontière, comme l’a rappelé le Tribunal Administratif de Lille qui a jugé cette pratique illégale !

Le volet « insertion » est quant à lui quasiment absent des politiques publiques actuelles, les associations caritatives du mouvement « Rom Europe », telles que Médecins du Monde ou le Secours Catholique, se substituant le plus souvent aux pouvoirs publics en apportant assistance et accompagnement vers l’insertion à ces personnes.

Propositions de « solutions » (entre guillemet, car oui, il n’y a pas de solutions miracles) :

Les hypothétiques solutions se trouvent selon moi (et beaucoup d’autres, je ne me fais que porte-parole) à plusieurs niveaux :

- Au niveau de l’Union Européenne : il faut demander à la Commission de faire fortement pression sur les gouvernements roumains et bulgares pour qu’ils améliorent la situation économique et sociale des Roms dans ces pays et pour mettre fin aux discriminations. Ces gouvernements pouvant être aidés financièrement dans leurs efforts (des fonds européens prévus à cet effet existent déjà).

Cependant, il faut bien noter qu’il s’agit là d’une solution à long terme, le changement des mentalités (des Roumains et Bulgares, mais aussi des Roms) prendra évidement beaucoup de temps.

- Au niveau national et des collectivités territoriales : (dans tous les pays riches d’Europe de l’Ouest, dont la France) :

En attendant une amélioration de la situation en Roumanie et Bulgarie, allons-nous rester les bras croisés ? A vrai dire, il existe déjà des solutions d’aide à l’insertion pour les populations Roms notamment par l’intégration dans des logements stables et salubres, à savoir les « villages d’insertion ». Il n’en existe actuellement que 3 en France, en Seine-Saint-Denis (comme par hasard, là où se concentrent déjà beaucoup de difficultés dans notre pays…). Dans ces villages, construits par l’ADOMA, on retrouve des travailleurs sociaux qui sont chargés d’aider des populations Roms qui ont été sélectionnées et qui ont acceptées de suivre des cours pour apprendre la langue française, de scolariser leurs enfants, et de s’inscrire dans une démarche de formation professionnelle ou de recherche d’emploi. En outre, ces villages sont placés sous la surveillance de gardiens afin d’éviter l’intrusion de personnes extérieures. Il s’agirait donc de généraliser cette pratique en construisant d’autres villages d’insertion de ce type, dans d’autres départements plus riches (les Yvelines par exemple…). Cependant, si ces villages fonctionnent clairement à petite échelle et sont sélectifs, il faudra trouver un moyen pour que leur généralisation, forcément plus inclusive, soit tout aussi efficace…

Par ailleurs, il ne s’agit là que d’une solution potentielle, je suis sûr qu’il en existe d’autres dont je n’ais pas eu connaissance, notamment en Espagne ou en Allemagne qui ont mis en place des politiques d’insertions bien plus développées qu’en France.

Ouverture sur les « gens du voyage » français (environ 400.000 en France) :

Je pense que tout le monde a bien compris qu’il ne s’agissait pas des mêmes populations.

Cependant, un point qui les rapproche concerne l’application de la loi Besson (de 1991, qui a été modifiée et complexifiée depuis) qui en gros prévoit que chaque commune ou intercommunalité doit construire un terrain d’accueil (aire d’accueil ou aire de grand passage) avec l’aide de l’Etat. Or celle-ci n’est appliquée qu’à hauteur de 50% environ sur le territoire français…ce qui finalement facilite l’itinérance et met plus aisément dans l’illégalité les gens du voyage et le Roms qui décideraient de s’installer illégalement sur un terrain non prévu à cet effet, par manque de place dans les aires existantes. Notons par ailleurs, qu’un maire qui a fait construire un terrain d’accueil dispose de beaucoup plus de pouvoirs pour expulser des personnes installées de manière illégale sur un terrain public ou privé.

Concernant à présent plus spécifiquement les gens du voyage, (il faudrait y consacrer un article entier), rappelons qu’alors que ceux-ci sont aussi assujettis à l’impôt (à travers la taxe annuelle d’habitation sur résidences mobiles terrestres), on ne peut que constater qu’ils ne sont pas considérés par les institutions et la société française comme des citoyens comme les autres. Il s’agirait donc de mettre en place une politique globale d’accès aux droits (ci-après, quelques préconisations) pour ces personnes victimes de discriminations (sans faire pour autant d’angélisme concernant les questions de délinquance) :

- en revenant sur le carnet de circulation (et le contrôle policier de celui-ci tout les 3 mois, ce qui constitue en quelque sorte une discrimination légale de leur mode de vie) ;

- alors que les demandes de scolarisation sont parfois rejetées, en assurant la scolarisation de tous les enfants,

- en facilitant l’accès aux droits civiques tels que le droit de vote, aujourd’hui rendu difficile,

- en facilitant l’accès aux droits sociaux notamment l’APL, le DALO…

- concernant l’emploi : en reconnaissant institutionnellement les savoirs-faires intrafamiliaux (artisanats) et en luttant plus efficacement contre les discriminations à l’embauche dans le cadre de la HALDE…,

- en facilitant l’accès aux droits bancaires (ouverture de compte, prêt, assurance))….

Pour aller plus loin :

COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME ;

Etude et propositions sur la situation des Roms et des gens du voyage en France ; 2008.

samedi 4 septembre 2010

Commentaires suite au débat estival sur l’insécurité :

Suite au débat estival sur l’insécurité, je voudrais faire part de quelques commentaires et ajouts (aux autres articles publiés dans la rubrique « crise des banlieues », notamment les IV.) ; V.) et VI.)).

Selon le gouvernement (et plus largement bon nombre de personnes de droite), ils pensent être les seuls à avoir une réponse crédible à faire valoir pour lutter contre la délinquance. Aucun débat démocratique ne semble possible sur cette question. Si j’ose penser différemment que le gouvernement ou une bonne partie de la droite sur cette question, je suis tout de suite taxé d’
« angélisme », de « laxisme » ou encore de « bien-pensance », alors même que l’on ne connaît pas mes propositions concrètes…Or, si la gauche n’a effectivement pas le « monopole du cœur », pour reprendre une expression de Giscard, la droite n’a surement pas non plus le monopole sur les questions de sécurité !

Alors oui, effectivement, les partis de gauche ont du mal (pour le moment) à être lisibles sur cette question (et c’est bien dommage !), mais pour autant, je soutiens obstinément que l’on peut être de gauche et avoir des idées à défendre sur ce sujet.

La nouvelle surenchère de mesures sécuritaires et d’escalades verbales de cet été devraient montrer une fois de plus l’inefficacité de l’action du gouvernement sur ce dossier et l’exploitation à des fins électoralistes du véritable sentiment d’insécurité… Je déplore une fois de plus l’absence de stratégie globale sur cette question, le gouvernement préférant des actions coups de poings, au coup par coup, menées de l’extérieur ; à une présence quotidienne dans les « secteurs sensibles » des forces de police paradoxalement de moins en moins nombreuses dans ce pays.

Par ailleurs, tout comme on pouvait reprocher à Georges Bush que l’on ne lance pas une « guerre » contre le terrorisme, on peut aujourd’hui reprocher à Nicolas Sarkozy que l’on ne lance pas de « guerre » contre la délinquance. (Il serait d’ailleurs amusant de compter le nombre de « déclarations de guerre » à la délinquance depuis 2002…).

Mais revenons à cette surenchère sécuritaire née lors du désormais célèbre : discours de Grenoble, et aux propositions les plus emblématiques portées par le gouvernement et/ou plus largement pas une partie de la droite. Notons en outre que cette escalade nauséabonde et populiste a salit l’image de la France à l’international… (Voir les nombreux articles de presses cinglants du New York Times, du Guardian ou encore du Spiegel, et les condamnations plus ou moins manifestes de l’ONU, de l’Union Européenne, du Vatican, de l’Autriche…).

Tout d’abord l’idée de déchéance de la nationalité pour les « Français d’origine étrangère » qui auraient « volontairement porté atteinte à la vie d’un policier…ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ».
Premièrement, tout comme la peine de mort ne dissuade en rien un criminel de passer à l’acte, la déchéance de nationalité n’est pas non plus selon moi ce qui empêchera un criminel de tuer un policier.
Cette nouvelle mesure « coup de poing », qui une fois de plus ne s’inscrit dans aucune stratégie plus globale mais visait juste à répondre encore une fois à un fait divers, me semble donc inefficace.
Mais admettons, si l’on continue dans cette logique de l’absurde : pourquoi ne déchoir de leur nationalité que les « Français d’origine étrangère » ? En effet, si cette mesure était en application, et si demain un Français « de naissance » et après-demain un Français « d’origine étrangère » tentaient de tuer ou tuaient un policier, ils ne subiraient donc pas le même « traitement ». Tout d’abord, on pourrait espérer que tout deux seraient arrêtés et jugés fermement, ce qui serait tout à fait normal. Mais ensuite l’un garderait sa nationalité et l’autre deviendrait apatride (il semble en effet illusoire de se dire que son éventuel ancien pays d’origine voudrait « récupérer » un criminel ; et quid de sa famille ??). On créé ainsi deux catégories de Français, ceux « de naissance » disposant alors d’un « traitement de faveur ». Or, notre chère Constitution (dans son article Premier !! Soit la base de notre République !!) déclare que « La France (…) assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion (…) ».

Viens ensuite l’idée de Christian Estrosi de punir les maires « laxistes » en matière de sécurité, heureusement rapidement abandonnée par le gouvernement mais tout de même symptomatique de ce que je dénonçais en introduction.
J’espère bien que les maires peuvent avoir une autre conception que celle bien pauvre et inefficace du gouvernement de ce qu’il faudrait faire pour lutter contre l’insécurité. S’ils jugent par exemple que généraliser la vidéosurveillance est inefficace et revient à jeter de l’argent par les fenêtres (ce qui de mon point de vue est vrai), c’est bien leur droit !
Les maires sont élus, ils n’ont pas de compte à rendre à l’Etat mais à leurs électeurs ! En outre, les maires devant faire face à des situations extrêmement hétéroclites selon leurs communes, il ne saurait y avoir une unique « bonne réponse » à apporter.
Par ailleurs, rappelons que la sécurité publique est une mission régalienne qui incombe donc avant tout à l’Etat et non aux communes. Il s’agissait vraiment là de se défausser sur les maires de l’inefficacité de la politique du gouvernement dans ce domaine…
Cependant, les maires, qui n’ont pas à être des shérifs comme le rappelle justement Pierre Cardo (ancien maire de Chanteloup les Vignes), sont des partenaires de premier ordre dans la lutte contre l’insécurité et c’est très bien ainsi. Ils sont notamment en charge du volet « prévention » et devraient d’ailleurs participer davantage aux instances de coproduction de la sécurité (qui ne doivent pas s’arrêter aux CLSPD comme je le disais dans un précédent article, mais se développer et s’ouvrir encore plus, notamment aux habitants).

Concernant enfin la polémique sur les Roms, je ne vais pas m’attarder sur cette question complexe que je connais peu et qui n’a d’ailleurs vraiment pas grand-chose à voir avec la rubrique « crise des banlieues ». Cela fera peut-être l’objet d’un prochain article, car il y a beaucoup de choses à dire à ce sujet. Le niveau de connaissance de la plupart des citoyens sur ce dossier étant très faible (moi le premier), cela laisse donc malheureusement la place à de multiples préjugés. D’un mot tout de même, il semble évident de rappeler que la politique d’expulsion systématique de camps illégaux obéit une fois encore à une logique court termiste et ne saurait constituer une action publique suffisante et efficace.

Après avoir critiqué, venons en à présent à la partie la plus intéressante de cet article à savoir : la formulation de propositions alternatives. Car critiquer, tout le monde peut le faire, et d’ailleurs beaucoup l’ont fait cet été. Malheureusement, bien moins nombreux ont été ceux qui ont proposés des alternatives concrètes.
Dans des articles précédents, j’ai déjà fait des propositions (articles IV / V / VI notamment de la rubrique « crise des banlieues ») concernant la lutte contre la délinquance. Suite à de multiples lectures croisées ces dernières semaines dans le cadre du débat de cet été, je désire non pas vraiment en faire de nouvelles mais plutôt approfondir certaines.

Tout d’abord, j’ai pu noter qu’il semblait primordial pour de nombreux observateurs d’accentuer les moyens financiers prévus pour l’évaluation de nos politiques publiques de sécurité. En effet, les impacts de celles-ci ne sont en France que très peu ou pas évalués (à l’instar des pratiques de vidéosurveillance). Pour cela, il faudrait entre autres renforcer les moyens publics accordés à la recherche dans le domaine de la criminologie. De plus, il s’agirait de lutter contre le fort conservatisme de la hiérarchie policière française, peu encline aux expérimentations sur le terrain. Les chefs de service devant rendre compte de leurs actions à une hiérarchie très pesante, ils ne disposent ainsi que de très peu d’autonomie pour tenter d’innover et apporter des solutions concrètes et appropriées à leurs zones d’interventions.
Notons de plus que cette évaluation pourrait donner toute sa place aux habitants, par exemple dans le cadre de « comités de liaison police/quartier ». On rejoint ainsi l’idée plus large d’une plus grande participation de ceux-ci, et donc notamment en terme d’évaluation des politiques publiques, la police rendant alors davantage de comptes aux habitants qu’à leur hiérarchie (ce qui permet par ailleurs de lutter contre le « sentiment d’insécurité », bien plus important que l’insécurité elle-même). Dans cette optique de participation des habitants et de la recherche de solutions spécifiques à des zones d’interventions variées, il semble enfin nécessaire d’accentuer la décentralisation des politiques de sécurité pour ainsi davantage « coller au terrain ».

Au reste, et pour ne reprendre que les termes d’Emilie Thérouin (adjointe au maire d’Amiens, chargée de la sécurité ; voir son blog très intéressant : http://www.emilietherouin.fr/verts-mairie-amiens/index.php? ), il s’agirait de redéfinir une « doctrine d’emploi » plus claire des différentes forces de police (nationale, municipales, gendarmerie). Il faudrait en effet mieux délimiter les missions de chacun et « donner une vision » à l’institution « police » en la réformant en profondeur et en associant le plus possible les différents corps de policiers à cette réforme.

Rappelons ensuite, et c’est une évidence, que l’action policière ne fera pas diminuer à elle seule le niveau de la délinquance. Aussi ai-je remarqué que de nombreux spécialistes dénonçaient le retard de la France dans le domaine de la « médiation », qu’elle soit sociale, citoyenne/associative, de jour, de nuit… J’ai déjà évoqué ce thème lorsque j’ai présenté la prévention de la délinquance et cela rejoint une fois encore l’idée de participation des habitants. Je ne citerais donc que deux expériences américaines récentes qui ont fait leurs preuves :
- l’idée d’associations « cessez le feu » (cease fire) implantées dans chaque quartier très sensible et composées notamment d’anciens délinquants et/ou détenus, souvent très respectés par les plus jeunes, qui joueraient le rôle de médiateurs de rue. Même si toute comparaison reste limitée et que d’autres facteurs doivent être pris en compte, rappelons tout de même que dans les villes du nord est des Etats-Unis telles que Chicago cela a permis de diminuer assez fortement le nombre de crimes violents et de règlements de compte par balles (pour plus de détails : http://www.ceasefirechicago.org/). Comme vous pouvez le constater ce type d’association n’aurait donc pas grand-chose à voir avec celle déjà existante en France : « AC le feu ».
- l’initiative « Summer Night Lights » de la mairie de Los Angeles. Il s’agit simplement de laisser les parcs publics ouverts jusque tard pendant les nuits d’été (particulièrement meurtrières) aux heures durant lesquelles l’activité des gangs est la plus forte. Des animations sportives et culturelles sont ainsi proposées aux jeunes des quartiers déshérités tandis que d’autres jeunes se voient eux offrir des jobs d’été en participant à l’encadrement de cette initiative. Ajoutée à une politique de « contrôle judiciaire » très stricte (une peine alternative à l’incarcération), cette initiative a permis elle aussi de réduire considérablement le nombre de crimes violents liés à l’activité des gangs particulièrement nombreux et puissants à L.A. (Pour plus de détails : http://mayor.lacity.org/Issues/GangReduction/SummerNightLights/index.htm ).

Pour finir, je voudrais simplement faire une petite digression (sur un sujet très peu abordé), pour signaler que le secteur des entreprises de sécurité privée est en plein boom actuellement en France comme partout ailleurs (sociétés de gardiennages, de vidéosurveillance mais aussi sociétés de conseil en sécurité et en gestion de crise appelées à former les équipes de polices, à gérer des bases de données de services de renseignement…). Cette privatisation du secteur de la sécurité (intérieure mais aussi extérieure) me semble dangereuse en ce qu’elle est porteuse de possibles collusions d’intérêt et devrait être davantage encadrée par la loi. Aux Etats-Unis, des milices privées de mercenaires telles que « Blackwater Worldwide », (bien connues pour leurs exactions et bavures en Irak) qui se cantonnaient auparavant du secteur de la défense par le biais de partenariats avec le Pentagone (qui dispose d’un budget gigantesque) diversifient aujourd’hui leurs activités en s’occupant de plus en plus de la sécurité intérieure. Tâchons de ne pas suivre cette voie en France.

jeudi 22 juillet 2010

I.) Décoloniser les imaginaires:

20% des habitants de la planète consomment 80% des ressources naturelles mondiales et produisent 70% des déchets mondiaux.

« On ne naît pas écologiste, on le devient » Nicolas Hulot.
« Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » ; « Il n’y a pas de solutions, mais des forces. Créons ces forces, les solutions suivront » Antoine de Saint-Exupéry.
Voire même :
« Plus de liens, moins de biens » ; « La croissance n’est pas la solution mais bien le problème » Serge Latouche.
« Penser global, agir local ».

Autant de formules qui nous appellent tous à évoluer, à décoloniser nos imaginaires. L’écologie est en effet un appel à une transformation politique collective mais aussi à un changement profond de nos modes de vie individuels. Nous sommes tous responsables, en tant que citoyens, consommateurs et travailleurs !

Pour dire clairement les choses, et même si je ne suis pas à une contradiction près puisque j’en fais partie ; j’en ai marre de cette société d’individus « ado-adultes » égocentriques, matérialistes et surtout conformistes qui n’ont tendance qu’à penser qu’à leurs petits plaisirs perso et à la surconsommation. Des plaisirs en outre toujours plus standardisés, qu’il faudrait assouvir si on veut « exister ; être quelqu’un ; être heureux », comme nous le rabâche chaque jour la publicité.
Nous autres occidentaux nous nous croyons libres, mais chaque jour un peu plus, nombreux sont ceux qui sombrent dans une « servitude volontaire » comme dirait La Boétie, par le surtravail et/ou la surconsommation.
Un mode de vie, une façon de penser qui contribue ainsi plus ou moins aveuglément à la marche du monde actuel. Il est admis que notre mode de vie n’est pas écologiquement « soutenable » de part le pillage des ressources naturelles, les pollutions et l’éventuel réchauffement de la planète qu’il engendre. Mais, il est aussi de moins en moins socialement (hausse des inégalités, société de concurrence et de compétitivité à outrance, stress et court-termisme…) et économiquement (chômage, dettes privées et publiques, dérèglementations…) viable.
On en est arrivé à se dire qu’il faut « travailler plus, pour gagner plus, pour consommer plus » pour soi-disant « vivre mieux ». Nombreux sont ceux qui pensent que c’est dans ce mode de vie que se trouve la voie du bonheur mais qui multiplient en fait les désillusions et les dépressions…Je force un peu le trait mais, la surconsommation agit selon moi comme une drogue. Elle procure un plaisir éphémère et artificiel et rapidement le manque et l’insatisfaction prennent le dessus, il faut ainsi consommer toujours plus pour se sentir satisfait (et non heureux).
D’autre part, dans cette société, « pour être, il faut avoir » ; ou plutôt, l’être de certains se résume malheureusement pour eux à leurs avoirs…On achète des biens ou des services non plus parce qu’ils sont utiles mais tout simplement parce qu’on a les moyens de se les offrir… Les « consommations ostentatoires », pour reprendre l’expression de l’économiste Veblen, sont destinées soit à montrer son statut social, à émettre des « signifiants de puissance », soit à faire croire aux autres que l’on possède ce statut social.
Enfin, nous vivons aussi dans une société d’individus qui n’osent jamais se remettre réellement en cause. Des individus qui fuient le face à face frontal avec eux-mêmes, qui ne prennent pas en charge leur destin, et qui suivent bien trop souvent l’avis et la vie de la majorité par peur notamment du conflit ou d’un rejet par celle-ci. Des individus qui n’imaginent plus assez que leur bonheur passe nécessairement par le fait de se préoccuper profondément du sort des autres.

Bref, dans les prochains articles, nous allons essayer de trouver des alternatives politiques concrètes à ce modèle de société ; par une reconversion écologique de l’économie autour d’une croissance et d’une décroissance économique sélective, par la fiscalité écologique et l’internalisation des coûts sociaux et environnementaux dans les prix, par l’évolution des secteurs de l’agriculture, de l’énergie, du transport, du logement…
Mais, je vous préviens tout de suite, les solutions ne sont pas toutes faites ; il faut encore les imaginer et les concrétiser ensemble.
Avec l’écologie, on ne sait pas trop vers quoi on va, mais en tout cas on sait ce que l’on quitte. C’est peut-être cette peur de l’inconnu qui décourage bon nombre d’entre nous, qui comprennent pourtant bien le message écolo.
Mais cette faiblesse peut être une force, après tout on sait bien où nous ont mené les grandes idéologies préconçues telles que le communisme…
L’essentiel c’est de se mettre en route, même si le but à atteindre n’est pas encore bien défini.
Par ailleurs, la crise écologique actuelle ne saurait être résolue sans que ne soit aussi réglée la crise sociale au Nord comme au Sud (en permettant notamment aux habitants du Sud de se développer de la manière la plus « soutenable » qui soit).

Mais avant tout ça, il s’agirait que les individus de notre société prennent conscience des limites de notre mode de vie et du défi gigantesque et difficile qu’il nous faut relever. Un défi qui pourrait bien dans une société d’individus un peu perdus et en quête de sens, nous en fournir un.
Il faudrait finalement retrouver le sens des limites, le goût de la lenteur et s’inscrire dans une pensée sage de la finitude. Fondamentalement, ce défi permettra sûrement à bon nombre d’entre nous d’enfin accepter la mort et de tenter du coup de faire de leur vie quelque chose d’intéressant pour les autres et pour eux-mêmes, au-lieu de continuer à vivre dans le déni de la mort, en la fuyant coûte que coûte par l’excès, la suractivité, la démesure…

Face au défi écologique qui nous attend, nombreux sont les pessimistes. Qui sait, ils ont surement raison ; mais quand bien même le combat serait perdu d’avance, à quoi bon mener une vie dénuée de sens ?
Le site internet de la fondation Nicolas Hulot dénote une distinction assez juste selon moi, à savoir que « la différence entre les pessimistes et les optimistes, après tout, c’est peut-être que les pessimistes n’ont rien d’autre à faire qu’attendre que la situation se dégrade et confirme ce qu’ils pensent. Tandis que les optimistes, eux, multiplient les initiatives, les élans, et mettent tout en œuvre pour que l’avenir leur donne raison ».

Pour finir sur un discours plus concret et constructif, on pourrait imaginer tout d’abord mettre en place une grande politique nationale d’éducation à l’écologie (même si je me rends bien compte du danger propagandiste que pourrait représenter une telle mesure). Cette politique de sensibilisation viserait à obtenir l’adhésion massive de la société à une transformation écologique de nos modes de vie, et tenterait notamment de mettre fin au mythe d’une croissance illimitée des biens, des déplacements, des services…
Voici les formes (non-exhaustives) qu’elle pourrait prendre :
Comme le propose la fondation Nicolas Hulot dans son pacte écologique, il s’agirait tout d’abord d’intégrer l’écologie dans les programmes scolaires de la maternelle à la terminale, de manière transversale (en science et vie de la terre, en économie, en sociologie, en philosophie…). D’autre part, les enseignants pourraient être davantage formés à ces thèmes ; tandis que dans l’enseignement supérieur et les formations professionnelles, la place de l’écologie pourrait être accentuée.
En outre, au sein des médias de masse, on pourrait imaginer la mise en place de campagnes de communication (comme c’est déjà un peu le cas, pour la réduction de nos déchets notamment). Les émissions et articles journalistiques de sensibilisation (à la télé, la radio, sur internet ou dans la presse écrite) pourraient être multipliés. Il faudrait d’ailleurs réfléchir à une taxation des pubs visant à vendre des produits polluants et/ou très clairement superflus ; à une interdiction complète de la pub sur les chaînes TV publiques (celles-ci pouvant être alors, en plus de la redevance, financées par une taxe sur les pubs présentes sur les chaînes privées, même si en l’état une telle réforme est impossible) ; ou encore une interdiction de faire de la pub pour les produits destinés aux enfants de moins de 12 ans.
En outre, on pourrait systématiser la procédure de l’ « Agenda 21 » à toutes les communes dans le cadre de démarches de démocratie participative, mais aussi dans les entreprises, les administrations, les écoles…

Pour être honnête, j’ai beau jeu d’écrire ce que je viens d’écrire et d’être prosélyte comme je viens de l’être (ce que, j’espère ne pas trop être dans ma vie de tous les jours). Je ne vis pas moi-même à 100% en accord avec mes idéaux et principes; comme tout le monde, je suis plein de contradictions et nous devons tous faire des choix entre notre réalité et nos idéaux ; mais après tout, faire ces choix, n’est ce pas là la marque des Hommes libres ?

Liens utiles pour approfondir :

- MORIN Edgar, L’an I de l’ère écologique.
- HULOT Nicolas, Le syndrome du Titanic ; Pour un pacte écologique.
Voire :
- Les ouvrages « décroissants » ou « a-croissants » (je précise que je ne partage pas toutes leurs idées, loin de là) de Serge LATOUCHE ou Paul ARIES.

I.) La France veut-elle vraiment régler la crise des banlieues ? Quelques piques introductives :

Ghettoïsation, fort taux de pauvreté, de chômage, d’immigration, d’échec scolaire, d’isolement mais aussi d’insalubrité, d’insécurité, de trafics en tous genres et de problèmes d’éducation : autant de termes (de clichés ?) péjoratifs pour désigner un même ensemble : « les banlieues sensibles », pourtant très diverses les unes des autres.

Je vais vous épargner ici un constat de la situation de ces banlieues. Il est plus ou moins connu de tous, sauf pour ceux qui préfèrent ne pas voir la réalité en face. La situation est grave, inquiétante et par son ampleur, quasi unique en Europe.

Mais alors, dans une société qui adore désigner des boucs-émissaires, qui donc est responsable de cette situation ? Bien sûr, certains répondront (et ils n’auront pas tout à fait tort) que la responsabilité incombe avant tout à certains délinquants et certaines familles qui pourrissent la vie des autres dans les cités, accentuant ainsi le phénomène de « ghettoïsation » de celles-ci.

Qui d’autre peut bien être responsable ? Les Hommes politiques ? Et plus largement l’élite de ce pays, qui a laissé pourrir la situation ? La responsabilité est parfois politique en effet, surtout par le passé. Lorsque l’Etat et les gouvernements successifs étaient (sont ?) bien soulagés de concentrer les populations les plus pauvres et immigrées dans les mêmes lieux. Ou encore, lorsque certains bailleurs sociaux regroupaient (regroupent ?) leurs locataires les plus défavorisés dans les pires logements de leur parc HLM afin de préserver l’attractivité du reste de leur parc. Enfin, lorsque certaines municipalités acceptaient (acceptent ?) volontiers la concentration d’habitants les plus démunis dans certains quartiers de leur ville afin de s’assurer de larges réserves électorales et de conserver ainsi leur baronnie.

Mais enfin, ne nous y trompons pas et soyons honnêtes ! La responsabilité de cette situation revient d’abord et avant tout à la société française dans son ensemble. Laissez-moi-vous raconter une petite histoire afin de vous en persuader (voir le lien : Donzelot) :

A partir des années 60, afin de faire face à la pénurie de logements et aux nombreux bidonvilles, la construction de vastes « grands ensembles » dans des « Zones à Urbaniser en Priorité » est décidée. Symboles de modernité et de confort, les HLM sont d’abord habitées par la classe moyenne de notre pays.
Mais à partir des années 70 et de la fin des « Trente Glorieuses », les choses se gâtent, et les mouvements de « fragmentation urbaine » font leur apparition.
Attirés par le rêve pavillonnaire et l’accès à la propriété (promus par de nombreuses politiques publiques), la classe moyenne quitte alors progressivement les grands ensembles pour des logements individuels en périphérie des villes. C’est le premier mouvement de « péri-urbanisation », rendu notamment possible par la démocratisation de l’automobile (et favorisant d’ailleurs l’étalement urbain, qui a de graves conséquences environnementales…). Conjointement à ce mouvement, la classe moyenne est régulièrement remplacée par l’arrivée de ménages plus pauvres et immigrés. C’est le mouvement de « relégation ». De plus, tandis que des frictions entre « gaulois » et « immigrés » commencent, la fuite de la classe moyenne s’accentue, celle-ci cherchant un « entre-soi protecteur » dans les pavillons individuels, alors même que la proximité avec les classes sociales inférieures est vécue comme dévalorisante. Un « entre-soi contraint » (par les mécanismes collectifs d’exclusion et du marché immobilier) se développe donc dans les cités HLM qui deviennent de véritables lieux de relégation avec une quasi-assignation à résidence de ces habitants et notamment de sa jeunesse qui s’approprie toujours plus les lieux publics.
Enfin, un dernier mouvement de « gentrification » des centres-villes naît en France dans les années 90, regroupant dans un « entre- soi choisi et sélectif » les classes supérieures de la population et notamment l’élite mondialisée. Un mouvement qui renforce celui de « péri-urbanisation » de la classe moyenne, qui quitte alors les centres-villes, ne pouvant plus suivre le train de vie des classes supérieures.

Aujourd’hui, ces mouvements généraux de désagrégation progressive des villes continuent par le biais de « stratégies d’évitement » (voir le lien : Maurin) entre classes sociales concernant l’habitat mais aussi au niveau scolaire par exemple (avec les nombreuses dérogations à la carte scolaire, voir l’article sur l’école). Inutile de rappeler par ailleurs que l’environnement social immédiat d’un individu a un rôle fondamental dans la réussite ou l’échec social de celui-ci. Le phénomène de ghettoïsation sociale et ethnique s’accentue donc de jour en jour dans notre pays. Les mécanismes collectifs d’exclusion sont d’une ampleur colossale et on pourra par exemple mentionner que la région Ile de France est la plus ségréguée d’Europe occidentale, étant marquée par les plus hauts niveaux d’inégalités territoriales.

A présent, un petit complément pour rappeler à certains de nos concitoyens et notamment à un certain Eric Zemmour, que les ghettos de notre République ne sont donc pas « volontaires », et que le « communautarisme » de certains habitants des quartiers sensibles, n’est pas « créé par ceux-ci » mais est avant tout une conséquence (et non pas la cause !) du mouvement global de désagrégation des villes qui sévit depuis la crise des années 70. Ainsi, même si la théorie de M. Zemmour semble à première vue séduisante, elle m’apparaît largement erronée. Quand bien même cette théorie serait renforcée par les phénomènes de délinquance et par la formation de véritables zones de « non-droits » avec leurs propres règles et où tout représentant de la République Française et même du reste de la société française ne serait pas les bienvenus, ces phénomènes bien réels sont selon moi des conséquences d’une société de l’entre-soi et du mouvement global de désagrégation urbaine.

La question se pose alors de savoir comment faire face aux mécanismes collectifs d’exclusion ? J’essaierai de répondre à cette question dans tous les articles qui vont suivre, mais avant cela : ce questionnement m’amène à me poser une nouvelle question, que de nombreux maires de banlieues sensibles, toute couleur politique confondue se posent aussi : la société française dans son ensemble veut-elle vraiment régler la crise des banlieues ou préfère-t-elle « l’entre-soi » ? Il faut savoir ce que l’on veut : Une République pour tous, ou une République qui abandonne certains territoires devenant alors de véritables ghettos caractérisés par la loi du plus fort.

On touche alors à un point crucial qui pourrait bien révéler la grande hypocrisie de notre société. Effectivement, au simple regard de l’application de la loi SRU, il semble que la réponse soit malheureusement claire…

La loi Solidarité et Renouvellement Urbain, votée en 2000, vise entre autres, afin de créer de la mixité sociale, à obliger les municipalités à disposer d’au moins 20% de logements sociaux dans leurs communes. Or, il apparaît qu’environ la moitié des villes françaises (notamment en région IDF) et évidemment les plus riches ou celles où habitent les plus riches, sont hors la loi et préfèrent payer une bien maigre amende plutôt que de construire des logements sociaux (notamment des logements très sociaux ou PLAI), renforçant ainsi l’idée d’une société égoïste de l’entre-soi, bien éloignée des objectifs d’Egalité et de Fraternité de notre République.
Ces comportements renforcent donc clairement la ghettoïsation de certains quartiers, la construction de nouveaux logements sociaux se faisant alors dans des communes qui concentrent déjà de nombreux autres logements de ce type, alors même que les communes les plus riches auraient souvent beaucoup plus de place à offrir pour en construire. Ceci ne fait en outre que ralentir un peu plus la création de nouveaux logements alors que la demande est pourtant criante.

Une véritable application de la loi SRU permettrait une réelle déconcentration des logements sociaux sur le territoire français, et ainsi un « saupoudrage » des difficultés que la ghettoïsation engendre, facilitant ainsi une éventuelle résolution de la crise des banlieues.

Au reste, une réforme de la loi SRU semble donc nécessaire afin de la faire réellement appliquer. Je ne sais pas qu’elle serait la meilleure solution mais voilà les propositions les plus souvent évoquées :
- Forte augmentation de l’amende afin de contraindre les communes récalcitrantes à construire des logements sociaux (ma préférence).
- Destituer les maires récalcitrants de leurs compétences en matière de logements sociaux, les rendre « défaillants », la responsabilité de construction de nouveaux logements revenant alors au préfet.
- Supprimer les indemnités d’élus locaux aux maires récalcitrants.

Si l’on regarde maintenant le montant de la DSU, il est lui aussi bien maigre, et en outre celle-ci est trop souvent distribuée de manière trop morcelée profitant à des villes qui n’en ont pas toujours besoin…La Dotation de Solidarité Urbaine est une enveloppe distribuée par l’Etat aux communes confrontées à une insuffisance de ressources et supportant des charges élevées.
Elle est ainsi bien utile à certaines villes de banlieue qui ne disposent que de peu de recettes fiscales (peu d’activités économiques, population pauvre et/ou non imposable) mais qui doivent assurer de lourdes dépenses (par exemple en terme d’équipements scolaires et de loisirs pour une jeunesse qui représentent parfois jusqu’à un tiers des habitants de certains quartiers).
La DSU est donc trop faible et ne permet pas une réelle péréquation des moyens notamment entre villes riches et villes pauvres. L’ « égalité des chances territoriale » n’est ainsi pas assurée.
Une réforme de celle-ci devrait intégrer à la fois une concentration et une augmentation des moyens allouées à certaines villes de banlieues qui en ont clairement besoin !

Pour en finir avec cette introduction, on rappellera tout de même que pour résoudre la crise des banlieues, apporter plus d’argent ne suffira pas (contrairement à ce que pensent certaines personnes de gauche en manque d’imagination)! Il faut aussi changer de stratégie ! Que ce soit concernant la Politique de la Ville et la place des habitants dans celle-ci, ou à propos de la stratégie policière ou encore éducative à adopter dans les « banlieues sensibles ». Passons à présent aux préconisations qui permettraient peut-être, selon moi, de résoudre ou plus modestement d’atténuer la crise des banlieues.

Liens utiles pour approfondir :
- DONZELOT Jacques ; Quand la ville se défait : quelle politique face à la crise des banlieues.
- MAURIN Eric ; Le ghetto français : enquête sur le séparatisme social.

II.) Pour une métamorphose de la Politique de la Ville :

Pour faire face au phénomène grandissant de relégation de certains quartiers, une « Politique de la Ville » a été mise en place en France à partir des années 80 pour « recréer de la ville ». Le but de cette politique publique est donc de revaloriser les zones urbaines en difficulté et de réduire les inégalités entre les territoires.

La Politique de la Ville sort des politiques publiques dites de « droit commun », tentant d’établir un partenariat entre différents échelons administratifs (de l’Union Européenne aux quartiers, en passant par l’Etat, les départements, les communautés de communes et les communes) et entre différents secteurs d’intervention publique (urbanisme, habitat, social, éducatif, transports, santé, culture…).

Depuis les années 80 de nombreux dispositifs ont caractérisé cette Politique de la Ville, marquant ainsi les fréquents changements de stratégie de cette politique et la rendant aussi largement illisible. Les plus connus de ces dispositifs étant les : Zones d’Educations Prioritaires (ZEP), le Développement Social Urbain (DSU), les Zones Urbaines Sensibles (ZUS) ou encore le Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU).

De plus, cette Politique de la Ville est souvent décriée pour son inefficacité supposée. Cette critique semble un peu facile lorsqu’on compare l’ampleur des mécanismes collectifs d’exclusion avec le peu de moyens humains et financiers investis dans cette politique d’exception. Mais une fois de plus, ce n’est pas seulement une question de moyens mais aussi de stratégie.

Voici les propositions de réformes de cette Politique de la Ville que je fais et qui n’ont pour certaines d’entre elles rien d’originales :

- Premièrement, il s’agirait de mettre en place une politique qui « parte davantage du bas » (Bottom-Up) et non du niveau étatique (Top-Down). Il faudrait notamment miser davantage sur la participation directe des habitants à cette politique (ce point fera l’objet d’un développement complet au prochain article). Le niveau étatique est ainsi trop éloigné et formaliste pour s’adapter aux situations très diversifiées des quartiers relégués. La Politique de la Ville devrait ainsi laisser toute sa place aux initiatives locales, l’Etat devant simplement être là pour soutenir ces initiatives, mobiliser des moyens financiers et légiférer. Attention, il ne s’agit pas de faire du « moins d’Etat », mais bien du « mieux d’Etat ». Face à la grande hétérogénéité des quartiers de « banlieues sensibles », il faudrait ainsi faire davantage de « sur-mesure et non du prêt-à-porter » comme le rappelle souvent l’un de ces formidables maires de banlieue : Claude Dilain (de Clichy-sous-Bois).
- Deuxièmement, il faudrait renforcer les actions de réorganisation des institutions intervenant dans le cadre de cette politique, face aux nombreux corporatismes et lourdeurs bureaucratiques qui contraignent une politique publique d’exception qui se doit d’être souple et innovante. La contractualisation entre les différents échelons administratifs et secteurs d’intervention publique participant à cette politique doit ainsi être consolidée tandis que le rôle des « chefs de projets Politique de la Ville » polyvalents doit être accentué.
- Troisièmement, et pour reprendre une nouvelle fois une expression de Claude Dilain, l’action de la Politique de la Ville devrait porter sur les « causes plutôt que sur les conséquences » du processus de ghettoïsation. Le meilleur exemple de cette action sur les conséquences étant les nombreuses opérations de rénovations urbaines, qui constituent la majeure partie de la Politique de la Ville actuelle…Si ces opérations de renouvellement urbain, lancées à partir de 2003 suite à la « loi Borloo » sont évidemment nécessaires et bienvenues, elles sont me semble-t-il insuffisantes voire dans une certaine mesure, vouées à l’échec. On peut ainsi malheureusement parier que d’ici quelques années certains de ces chantiers de rénovation urbaine seront à refaire…En effet, dans ce cadre l’action publique porte sur les lieux, le bâti, le « hard », mais ne tente pas de changer la situation sociale, elle ne porte pas suffisamment sur les habitants, l’humain, le « soft ». Dans le cadre du PNRU, il s’agit ainsi de « dorer le ghetto », la situation à long terme n’évoluant pas et les habitants étant relogés aux mêmes endroits.
- Quatrièmement, la question des moyens financiers investis dans cette Politique de la Ville est aussi primordiale, même si comme nous l’avons vu, une simple augmentation des moyens sans changement de stratégies, s’avèrerait inefficace. Rappelons tout de même que les fonds alloués à la Politique de la Ville ne représentent que 0,37% de notre PIB ! C’est bien maigre face à un problème de société majeur tel que la crise des banlieues. En outre, dans certains cas, les crédits « Politique de la Ville » sont fournis aux communes « à la place » de crédits de droits communs et non « à côté ou en plus » de ces crédits ! Enfin, comme nous l’avons vu en introduction, une meilleure péréquation des moyens entre villes riches et villes pauvres devraient être assurée.
- Enfin, au niveau gouvernemental, et même si la Politique de la Ville doit partir de la « base », des initiatives locales dans les quartiers ; cette politique transversale devrait logiquement être organisée autour de la personne du Premier Ministre, de manière interministérielle et non dans le cadre d’un secrétariat d’Etat ou d’un ministère spécifique à la Politique de la Ville qui relève plus de l’opération de communication politique que de l’action de fond... De plus, il semble évident de rappeler qu’une forte volonté politique de changement doit être affichée et qu’il faut en finir avec l’empilement des mesures et les discontinuités de cette politique (rappelons tout de même qu’en 20 ans, 18 secrétaires d’Etat ou ministres chargés de la Politique de la Ville se sont succédés…). Pour finir, il serait judicieux que le gouvernement s’appuie davantage sur les avis et recommandations publiées par le Conseil National des Villes (qui regroupe plusieurs maires de villes de banlieues sensibles, toute couleur politique confondue) pour mettre en place son action en matière de Politique de la Ville.

Il apparaît malheureusement que l’actuel Plan « Espoir Banlieue » lancé par le président de la République et par Fadela Amara en 2008 ne correspond évidemment pas à ces propositions de réformes souhaitables, mais plus à une opération cosmétique, à une action superficielle (ce qui semble d’ailleurs être la marque de fabrique du gouvernement actuel dans de nombreux domaines…).
Pour finir sur une note optimiste, on assurera que la Politique de la Ville peut être porteuse de multiples innovations en termes de politiques publiques. Elle peut être une politique avant-gardiste, un exemple à suivre de souplesse et d’efficacité de l’action publique !

Liens utiles pour approfondir :

- CARDO Pierre et DILAIN Claude ; Deux maires courages : dialogue sur la crise des banlieues.
- DONZELOT Jacques ; Quand la ville se défait : quelle politique face à la crise des banlieues.
- Publications de Claude JACQUIER.

III.) « Alors prends-toi en main ! C’est ton…destin ! » : La participation des habitants :

En France, quand on parle de participation des habitants de quartiers sensibles, on pense généralement aux multiples associations sportives et culturelles présentent dans ceux-ci. Ces associations, portées par des bénévoles qui travaillent dans l’ombre et qui font un boulot formidable, ont un rôle primordial dans le développement social de ces quartiers.

Cela me fait d’ailleurs penser que les travailleurs sociaux, les animateurs socioculturels, les éducateurs de rue, les « adultes relais », les gardiens d’immeubles contribuent eux aussi au développement social des quartiers et devraient davantage être reconnus par l’ensemble de la société française pour leur rôle indispensable.

Mais ce n’est pas de ce type de participation des habitants dont je veux parler. Ce que je prône, c’est une participation politique (au sens noble du terme) des habitants qui seraient ainsi responsabilisés.

Avant de développer mon propos concernant la participation des habitants, je profite du terme « responsabiliser » pour faire une petite digression sur le thème de la « responsabilisation de parents » qui seraient « démissionnaires ». Ces derniers temps en effet, cette idée, portée notamment par le député UMP Eric Ciotti, à fortement la côte, pour lutter contre l’absentéisme scolaire ou plus récemment pour lutter contre la délinquance juvénile. Il faudrait ainsi punir pénalement ou « toucher au porte-monnaie » les parents démissionnaires.
Hormis le fait que ces solutions restent largement inefficaces (comme le montre les expériences américaines et britanniques), elles ne feraient que braquer encore plus certains parents, alors qu’ils auraient au contraire le plus souvent besoin d’encore plus d’accompagnement social, sans tomber toutefois dans l’assistanat. En outre, il est évident qu’éduquer un enfant est bien plus difficile dans un quartier délabré, à fortiori lorsque l’on se retrouve au chômage ou en précarité ou encore lorsqu’on est pris en plein « choc culturel » (voir l’article sur l’immigration).
Cependant le statu quo en matière de lutte contre l’absentéisme scolaire et la délinquance juvénile n’est pas acceptable. A côté d’un travail social de plus long terme (qui comporte des risques d’assistanat), on peut rappeler que certaines expérimentations qui ont fait leurs preuves, telles que « la mallette des parents » portée par Martin Hirsch, pourraient être étendues. Cette expérimentation vise à mieux associer les parents à l’équipe pédagogique afin que ceux-ci exercent leurs responsabilités parentales et s’intéressent davantage à la scolarité de leurs enfants (par le biais de séances avec les parents, de plaquettes d’informations en plusieurs langues…). Mais surtout, il faudrait que les parents participent davantage au développement de leur quartier, de manière collective. C’est sur ce point qu’il faut insister. Comme nous allons le voir à présent, c’est par ce biais que l’on redonnera du pouvoir aux parents sur leurs ados, et non par la suppression des allocations familiales, qui ne ferait que les enfoncer encore plus dans un état de faiblesse…

Pour en revenir à présent à la participation politique des habitants, on peut tout d’abord évoquer un petit constat. Il faut ainsi rappeler que c’est dans les quartiers sensibles que la désillusion vis-à-vis de la politique et du politique est la plus manifeste de notre société française. C’est en effet ce que montre les taux d’abstention record aux élections ou encore la faible présence des partis traditionnels dans ces quartiers qui ne disposent pas ou peu d’une « élite politique » capable de négocier avec les pouvoirs publics.

L’idée de la participation politique et citoyenne des habitants, qui pourrait sembler futile au premier abord, me semble donc primordiale afin d’atténuer la crise des banlieues. Comme nous l’avons dit dans l’article précédent, il faudrait que la Politique de la Ville « parte du bas », des habitants ; qu’elle suive un mouvement ascendant et non descendant. Il s’agirait en outre de réaliser une responsabilisation collective des adultes, qui donnerait une large place aux femmes, face à la domination adolescente qui sévit dans certains quartiers sensibles.
Cette idée de participation directe et locale des citoyens, qui ne fait malheureusement pas parti des mœurs françaises, pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un consensus politique, les gens de droite y verraient un moyen de sortir les individus de l’assistanat ; les gens de gauche y verraient une libération de l’individu par l’action collective.

Des collectifs d’habitants devraient ainsi voir le jour, aidés par des agents de développement social local, des travailleurs sociaux dont le métier serait redéfini à l’occasion vers l’idée d’en faire des « community organizer » pour reprendre ce terme américain (soit le job que réalisait un certain Barack Obama dans les quartiers sud de Chicago avant de se lancer en politique). Aux Etats-Unis, ces personnes tentent d’aider les habitants des ghettos urbains à s’organiser pour défendre leurs droits, leurs intérêts, leur « bien commun », face aux bailleurs sociaux et aux municipalités notamment. Historiquement, la première mission de ces « community organizer » dont le précurseur était Saul Alinsky, un illustre inconnu en France, était d’aider les habitants à faire du « lobbying » politique sur les élus, en incitant notamment les habitants à s’inscrire sur les listes électorales.
Au reste, je fais à présent une petite digression pour affirmer que donner le droit de vote aux étrangers aux élections municipales notamment (avec ou sans « accords de réciprocité » avec les autres pays) me semble entièrement justifié et irait totalement dans le sens d’une promotion de la participation citoyenne de l’ensemble des habitants des quartiers difficiles.

Bref, le but de la participation des habitants, dans le cadre de collectifs citoyens dont ils tiendraient les rênes, serait tout simplement de permettre une revitalisation de leurs quartiers et de créer une « communauté solidaire de voisinage ». Il s’agirait par exemple d’améliorer les conditions de logement et de vie des habitants d’un quartier relégué, d’aider au développement économique local, de faire face à la délinquance et au sentiment d’insécurité du quartier (voir l’article sur la police de proximité), d’organiser des événements éducatifs, culturels, sportifs ou tout simplement festifs…En somme, le but serait d’améliorer les conditions de vie, l’ambiance et l’image des quartiers relégués grâce à l’action d’une communauté d’habitants actifs.

Aïe ! Désolé si j’ai heurté la sensibilité de certains en osant employer le terme « communauté », ce terme qui fait si peur en France et qui est toujours associé à l’idée de « communautarisme ». Pour vous rassurer, il s’agit bien ici de s’appuyer sur des communautés d’habitants, de résidants, de citoyens et non pas des communautés ethniques ou religieuses.

La participation des habitants viserait donc à responsabiliser ceux-ci, face aux dérives d’une action publique qui a tendance à faire des citoyens de simples « assistés ». Attention ! Je ne dis pas là que les habitants des quartiers relégués devraient résoudre leurs problèmes tout seul ! Non, sûrement pas ; l’aide publique est évidemment la bienvenue mais comme nous l’avons dit dans un précédent article, la Politique de la Ville doit partir de la base, des habitants. L’Etat n’a pas à organiser les choses (une fois encore, il ne s’agit pas de faire du « prêt-à-porter » mais bien du « sur-mesure »). Comme l’assure le sociologue Claude Jacquier dans l’un de ses ouvrages : « la revitalisation des villes est un processus complexe. Sa mise en œuvre requiert la créativité et l’initiative du niveau local plutôt que des stratégies standardisées au niveau national ».

Faire participer les habitants, c’est les considérer comme des interlocuteurs, c’est former une élite politique des quartiers, quitte à ce qu’ils représentent un contre pouvoir aux élites actuelles ! Il faut rendre les habitants « parties prenantes » (stakeholders), acteurs du changement de leur quartier. Il faut avoir confiance en eux, il faut redonner du pouvoir à des habitants majoritairement « à faible capacité de pouvoir », afin que ceux-ci réalisent leur « empowerment ». Cette notion américaine signifie en quelque sorte le processus par lequel « les gens acquièrent individuellement et collectivement une maitrise sur le cours de leur vie » pour reprendre les termes du sociologue Jacques Donzelot.

Pour finir, toute cette philosophie de la participation peut se résumer par le crédo d’un homme : Saul Alinsky, qui ne cessait de dire aux habitants des ghettos américains : « Ne demandez pas vos droits, prenez les ! ».

Liens utiles pour approfondir :

- ALINSKY Saul ; Manuel de l’animateur social.
- BRONNER Luc ; La loi du ghetto : enquête dans les banlieues françaises.
- DONZELOT Jacques; Faire société : la politique de la ville aux Etats-Unis et en France.
- JACQUIER Claude ; Les quartiers américains, rêve et cauchemar. Le développement communautaire et la revitalisation des quartiers aux Etats-Unis.
- Et très modestement, j’ose me citer parce que c’est justement le sujet de mon mémoire de fin de premier cycle : La participation des habitants à faible capacité de pouvoir. Expériences participatives au sein de la ville de Grenoble.

IV.) Police et cité: l'état des lieux

Les bleus, les poulets, les condés, les cognes, les playmobils, les flics, mais aussi les schtroumpfs, les keufs, les shmits, les chtars…tant de surnoms plus ou moins sympathiques pour désigner une même profession : policier.

La police est la mal aimée de notre société, par l’opinion publique en général, par les habitants des quartiers sensibles en particulier. Certains jeunes et certains délinquants des cités éprouvent même de la haine à leur égard, une haine de plus en plus réciproque…Cela n’a rien d’original de dire cela mais : nous sommes clairement assis sur une poudrière, que se passera-t-il le jour où un policier sera obligé pour une bonne ou une mauvaise raison de « tirer pour tuer » un jeune délinquant ou émeutier ?

La police est mal en point. Nombreux policiers sont au bord de la crise de nerfs, surtout ceux en poste dans des « secteurs sensibles ». Alors, ne comptez pas sur moi pour participer au mépris ambiant à leur égard, même si bien sûr on recense des bavures inacceptables notamment chez quelques agents de la BAC ou des CRS qui ont tendance à se prendre pour des « cowboys ». Ces hommes et femmes font un métier respectable et de plus en plus difficile. On parle souvent « d’omerta » dans les quartiers gangrénés par le trafic de drogue, mais on pourra remarquer que cette loi du silence s’applique aussi chez les policiers. En outre, derrière des discours de soutien et de fermeté, les policiers de terrain sont en fait lâchement abandonnés par leur hiérarchie et par les politiques.

Par ailleurs, la stratégie mise en place par la hiérarchie policière et les ministres, notamment depuis 2002 avec l’arrivée d’un certain N. Sarkozy au ministère de l’Intérieur, est selon moi en bonne partie responsable de cette situation catastrophique.
A grand renfort de communication politique et d’effet d’annonces, cette stratégie policière dite de « fermeté » se déclinait et se décline encore aujourd’hui selon moi en trois axes : politique du chiffre, prévention situationnelle et police de répression.

1. La politique du chiffre consiste simplement à réaliser de bonnes statistiques policières, à inciter ou faire pression sur les policiers pour qu’ils augmentent rapidement les taux d’élucidations, le nombre d’arrestations, de gardes à vue (GAV), de contraventions en privilégiant évidemment la quantité à la qualité…Pour faire croire à une opinion publique (franchement naïve il faut bien le dire !) qu’on lutte efficacement contre la délinquance, on ordonne aux policiers de se concentrer sur des « cibles rentables » (petites frappes, revendeurs ou simples consommateurs de cannabis, étrangers en situation irrégulière…) et de tirer un maximum profit des « IPDAP » (infractions envers les personnes dépositaires de l’autorité publique). Cette politique du résultat prend du temps, des effectifs et de l’argent et empêche la construction d’une action policière intelligente et de long terme.

2. A côté de cette politique du chiffre a progressé l’idée de la « prévention situationnelle ». Il s’agit de toutes les techniques et technologies visant à prévenir et dissuader les actes de délinquance. Hormis les « détails sécuritaires » des opérations de rénovations urbaines, la technologie la plus emblématique de cette prévention situationnelle reste les systèmes de vidéosurveillance (ou de « vidéoprotection », selon vos opinions politiques…). Je ne vais pas me lancer ici dans un débat sur l’atteinte supposée aux libertés publiques par Big Brother (un débat très grenoblois) mais je vais juste rappeler qu’une mise en place généralisée de ces systèmes ne sert pas à grand-chose à part peut-être rassurer son électorat…En effet, si le fait d’installer des caméras dans quelques endroits publics sensibles me semble légitime, suivre l’« exemple » anglais serait en revanche très couteux et surtout inefficace. En effet, devant un flux d’images trop important, il faudrait mobiliser un trop grand nombre de policiers pour les surveiller et les trier. Mais surtout, il semble que les caméras ne dissuadent pas les délinquants, qui s’adaptent à celles-ci. Enfin, il ne s’agit une nouvelle fois que d’une solution de très court terme, qui se concentre sur l’acte délinquant mais pas sur le délinquant lui-même…

3. Conjointement à ces deux premiers axes, s’est mis en place ce que l’on pourrait appeler une « police de répression » qui a progressivement remplacé la « police de proximité » (voir l’article à ce sujet). Sous le prétexte tout à fait légitime de protéger les policiers, on a transformé les Brigades Anti Criminalité et les Compagnies Républicaine de Sécurité intervenant dans les quartiers sensibles en une véritable police militarisée qui ne dialogue plus avec les habitants et les jeunes, renforçant ainsi les tensions avec ceux-ci et donc la nécessité pour les policiers de se protéger davantage…Un véritable cercle vicieux.
Par ailleurs, de nombreuses lois répressives plus ou moins fondées ont accompagné ce mouvement depuis 2001. Ces lois, parfois émotives, populistes et basées sur des faits divers, ont permis l’introduction de nouveaux délits, de nouvelles « circonstances aggravantes » et d’allongements de peines. Il s’agit par exemple du délit d’occupation illégale de halls d’immeubles (largement inapplicable et inappliqué), des circonstances aggravantes de « guet-apens », d’ « embuscade » ou du fait d’appartenir à une « bande », ou encore l’augmentation des heures de garde à vue…
D’autre part, la politique de contrôles d’identité systématiques sans aucune condition dans des territoires ciblées avec notamment la possibilité de fouille intégrale des véhicules, permise par la réforme Pasqua du code de procédure pénale de 1993, a énormément participé à la montée des tensions entre policiers et jeunes des quartiers sensibles. En effet, cette pratique du contrôle au faciès, souvent décriée par les jeunes d’origine étrangère, s’est accompagnée d’une explosion du nombre d’outrages à agent (ou IPDAP), s’inscrivant d’ailleurs totalement dans la politique du chiffre. On notera enfin que bizarrement aucune évaluation, aucun bilan de cette pratique et de leurs effets sur la lutte contre la délinquance n’ont été réalisés…

Pour finir, je ferai une petite digression sur les propos d’Eric Zemmour, non pas que je veuille m’acharner contre lui mais parce qu’il dit tout haut ce que malheureusement beaucoup de citoyens français pensent tout bas…Ainsi, lorsqu’il assure que « les noirs et les arabes se font plus contrôler parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes », il faudrait rappeler que de nombreux « blancs » participent aussi à ce trafic (et que tout ça n’est bien évidemment pas une question d’ethnie ou de couleur de peau mais de statut social). Mais surtout, l’un ne justifie absolument pas l’autre ! Si la seule solution de la hiérarchie policière et politique pour lutter contre le trafic de drogue est le contrôle généralisé des jeunes de banlieues sensibles, autant abdiquer tout de suite car c’est totalement contre-productif. Au reste, il faut revenir sur l’idée que le chômage de certains jeunes des quartiers serait créé par le fait que ceux-ci préfèreraient le deal à un travail légal (car plus lucratif et moins exploiteur). Hormis le fait que le deal n’est pas si lucratif que cela pour les petits revendeurs (voir l’article suivant), c’est une nouvelle fois mettre la charrue avant les bœufs. En effet, en admettant que certains jeunes suivent délibérément cette voie (combien ??), il faut bien rappeler que le chômage est avant tout créé par la crise économique (née dans les années 70) dont les immigrés, les plus pauvres, précaires et moins formés sont toujours les premières victimes. Par la suite d’un processus cumulatif (chômage de masse, ghettoïsation urbaine et scolaire…) certains préfèrent donc effectivement le deal. Enfin, pour finir sur une note positive, on rappellera qu’à partir d’un certain âge, nombreux sont ceux qui préfèrent « rentrer dans le rang », avoir une vie tranquille, devenir père de famille et élever leurs enfants en sécurité.

Liens utiles pour approfondir :

- BRONNER Luc ; La loi du ghetto : enquête dans les banlieues françaises.
- MUCCHIELLI Laurent, La frénésie sécuritaire.

V.) « Une société se juge à l’état de ses prisons » : système pénitentiaire et judiciaire:

Albert Camus affirmait qu’ « une société se juge à l’état de ses prisons ». Si l’on suivait ce critère de jugement, on s’apercevrait que la société française est bien mal en point…

Je vais à présent traiter d’un thème un peu moins en rapport avec la crise des banlieues mais qu’il est tout de même important de signaler. Il s’agit de notre système judiciaire et pénitentiaire. Je dispose de moins de connaissances dans ce domaine, donc si vous avez des points cruciaux ou des détails qui vous semblent oubliés n’hésitez pas à nous en faire part !

La politique du chiffre et la police de répression ont pour conséquence de multiplier le nombre d’incarcérations et notamment de courtes peines d’emprisonnement. Elles ne font donc qu’augmenter le niveau de surpopulation carcérale (jusqu’à 200% dans certaines prisons !) que connaît notre pays, détériorant davantage encore les conditions de vie déjà déplorables dans nos prisons, comme viennent régulièrement le rappeler les nombreuses condamnations de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
De plus, la fameuse mesure des « peines planchers » qui vise soit disant à lutter plus efficacement contre la récidive, participe elle aussi à cette inflation carcérale. Cette mesure, qui contrevient au principe d’individualisation de la peine, contribue par ailleurs à la mise en place progressive d’une « justice automatisée », qui ferait des juges de simples « distributeurs de peines fixes ».

Or, l’emprisonnement, surtout pour de courtes peines, est selon moi (et beaucoup d’autres) criminogène, d’autant plus dans l’état actuel des prisons françaises, et n’est donc en rien le meilleur moyen du lutter contre la récidive...Au demeurant, rappelons que le but de notre système judiciaire et pénitentiaire est certes de punir les délinquants mais aussi de préparer leur réinsertion dans la société…

Pour arriver à ces fins, voici ce que je préconise (et je vous l’accorde cela n’a rien d’original) :

- Améliorer les conditions de détention dans nos prisons (et donc les conditions de travail des surveillants) en accordant plus de moyens et de considération à l’administration pénitentiaire et en rénovant et construisant de nouvelles prisons afin de limiter la surpopulation carcérale.
- Favoriser toutes les activités pouvant permettre une meilleure réinsertion des détenus : à commencer par le soutien scolaire (soulignons ici le rôle de l’association GENEPI), les formations professionnelles, le travail en prison (à condition qu’il ne s’agisse pas d’une exploitation…).
- Eviter évidemment les mélanges entre criminels et maffieux de haut vol avec des petites frappes, si l’on ne veut pas que la prison devienne l’école du crime (comme le montre d’ailleurs très bien le film de J. Audiard : Un Prophète).
- Eviter aussi les trop longues « détentions provisoires » en attente de jugement (pour ça il faut donner plus de moyens à la Justice comme nous allons le voir après).
- Ou encore, éviter le placement de malades mentaux en prison (près d’un tiers des détenus !) dont la place se trouve en milieu spécialisé tels que les hôpitaux psychiatriques.

Bref, il y aurait encore, j’en suis sûr, bien d’autres propositions à faire pour améliorer la situation de nos prisons. Mais il faut surtout rappeler à présent que l’emprisonnement doit être envisagé en dernier recours.

Il faut donc selon moi favoriser les peines alternatives à l’incarcération, surtout pour les courtes peines (la grande majorité), qui permettent de lutter plus efficacement contre la récidive et qui le pourrait davantage encore si on leur donnait plus de moyens et de considération.

La première mesure qui vient à l’esprit quand on parle de peines alternatives, c’est le «bracelet électronique » (avec assignation à résidence à certains horaires). Cette mesure, convenable pour les courtes peines de 3 ou 4 mois est par ailleurs vraiment vécue comme une punition par les condamnés. Cependant, ce dispositif renferme certaines limites, la première étant que plusieurs conditions pratiques doivent être remplies, le condamné devant disposé d’un logement, d’une ligne téléphonique fixe (le coût élevé du dispositif étant supporté par le condamné) et donc d’un contrat de travail, ce qui n’est malheureusement pas le cas de nombreux condamnés.

Mais il existe plein d’autres mesures dont il faudrait améliorer l’efficacité en leur donnant une nouvelle fois : plus de moyens et de considération. Il s’agit de tous les dispositifs de liberté conditionnelle, de sursis avec mise à l’épreuve, de contrôle judiciaire socio-éducatif (CJSE), de travaux d’intérêt général d’insertion (TIG), ou encore des centres de semi-liberté (un intermédiaire pour les sortants de prison) et des centres éducatifs renforcés (CER) pour les mineurs…On citera aussi le dispositif de surveillance par « reconnaissance vocale » par le téléphone fixe du condamné (ce qui coûte vraiment moins cher en plus).

Conjointement à la présentation de ces mesures alternatives, on rappellera qu’il faudrait aussi multiplier le nombre et les moyens accordés aux conseillers d’insertion et de probation (CIP) et aux éducateurs spécialisés du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP). Il est aussi important me semble-t-il de multiplier les séances avec les condamnés pour travailler sur le sens de leur peine, pour qu’ils comprennent mieux leurs erreurs et pour leur permettre de se projeter plus sereinement dans l’avenir.

Toutes les propositions que je viens de faire (qu’il s’agisse des meilleures conditions de vie dans les prisons ou du développement des peines alternatives) nécessite cependant, et c’est là un point crucial, que la société française murisse un peu sur ce sujet et quelle se pose la question de savoir quel est vraiment le meilleur moyen pour lutter contre la récidive. Je n’ai pas dis tout ce que je viens de proposer parce que j’excuse les délinquants ou parce que je suis bienveillant à leur égard, mais tout simplement parce que je cherche le meilleur moyen de lutter contre la délinquance et sa récidive et qu’en la matière le contrôle social et le tout punitif connaissent de sérieuses limites.

Pour finir, je voudrais faire un point sur la Justice pénale souvent dénoncée comme « laxiste » par une certaine partie de l’opinion publique et par certains policiers. En réalité, je crois surtout que la justice est complètement débordée et en manque alarmant de moyens avec notamment un trop faible nombre de magistrats (comparé notamment avec le nombre de magistrats allemands). D’autre part, le sentiment de laxisme découle selon moi en partie de la stratégie policière évoquée plus haut qui concentre son attention sur les petits délits pour lesquelles les enquêtes sont trop courtes et le manque de preuves suffisantes parfois réel. Enfin, comme nous l’avons vu les juges se retrouvent souvent sans réponses adaptées face à la récidive de petits délinquants étant donné l’état criminogène de nos prisons et la faible qualité actuelle des peines alternatives à l’emprisonnement.

Liens utiles pour approfondir :

- VASSEUR Véronique, Médecin chef à la prison de la Santé.
- REYNAL Florence, Prisons : quelles alternatives ?